La mer au secours de la Terre
Contre le changement climatique, l’océan propose des solutions.
Petit tour d’horizon des pistes développées partout dans le monde.
« Si l’océan n’existait pas, nous serions grillés sur place ». La biologiste Françoise Gaill, spécialiste des écosystèmes profonds océaniques, a le sens de la formule. Elle est la vice-présidente de la Plateforme Océan & Climat (POC), partenaire cette année de la Fête de l’océan des 11 et 12 juin à l’Aquarium tropical. La scientifique parcourt le monde depuis huit ans pour mettre en lumière le rôle majeur de l’océan dans le système climatique. « L’océan absorbe 90 % de la chaleur et plus d’un quart des émissions de gaz carbonique issues des activités humaines. Il contribue également de manière significative à l’oxygénation de notre atmosphère. »
Malheureusement, l’océan est soumis à de nombreuses pressions et son état se dégrade. Il risque de ne plus assurer ces missions indispensables à notre survie si nous ne faisons rien, résume la chercheuse. Pour que le sujet soit davantage pris en compte par les décideurs, elle milite avec la POC pour la création d’un GIEC de l’océan. Des mesures comme la limitation des rejets agricoles et industriels et une très forte réduction des gaz à effet de serre sont nécessaires. Elles permettront à l’océan de garder son rôle d’atténuateur du changement climatique. Mais on n’en mesurera les effets que sur le moyen terme. Et le temps presse.
Face à l'urgence : les solutions de l'océan
« D’ici 2050, l’élévation du niveau de la mer menacera directement un milliard de personnes. Il est urgent de développer des solutions d’adaptation », explique la vice-présidente de la POC. Des solutions fondées sur l’océan que la Plateforme et ses partenaires s’attachent à mettre en avant au niveau international.
Parmi ces propositions figurent la protection des mangroves, véritables barrières naturelles contre la montée des eaux. Ces forêts immergées ont un potentiel de captation du carbone trois à cinq fois supérieur aux forêts tropicales. Les mangroves abritent par ailleurs de nombreux poissons et crustacés consommables. Détruites au profit de l’aquaculture, elles renaissent aujourd’hui dans certaines régions d’Asie.
Les énergies marines renouvelables ont aussi de l’avenir, selon le dernier rapport du GIEC. Elles utilisent la force du vent, celle des vagues ou des marées ou encore la différence de température entre courants froids et courants chauds. Limitant le recours aux énergies fossiles comme le pétrole, elles ont l’avantage d’être des sources «très régulières et prévisibles, de jour comme de nuit », écrit le GIEC. Les pays du Nord de l’Europe sont dans ce domaine les plus avancés. Tout comme la Chine qui « investit énormément dans ce type d’énergie », précise Françoise Gaill.
Et puis il y a les algues : elles-mêmes sont menacées par le changement climatique, qui rend certaines espèces envahissantes et en fait disparaître d’autres. Leurs multiples propriétés, dévoilées dans l’exposition Algues marines à l’Aquarium tropical, suscitent des projets très variés. Leur première vertu est leur action bénéfique sur le milieu marin, explique Philippe Potin. Directeur de recherches au CNRS et coordinateur scientifique du projet d’Investissements d’Avenir IDEALG, il les étudie depuis plus de 30 ans. « La présence d’algues permet d’améliorer la pureté d’une eau, ce qui entraîne le développement de la vie aquatique. On a donc tout intérêt à favoriser ou restaurer leur implantation en mer et chez les producteurs de coquillages ».
Cette présence d’algues limite aussi l’acidification de l’eau (provoquée par l’excès de gaz carbonique) qui fragilise les coquilles et d’autres organismes constitués de calcaires comme les coraux.
Dans certaines régions du globe, les poissons ont déjà disparu. L’élevage de coquillages et la culture d’algues à des fins alimentaires permettrait la reconversion des pêcheurs et celle d’agriculteurs dont les terres sont envahies par la mer. C’est l’action de la Safe Seaweed Coalition, dont Philippe Potin assure l’animation scientifique. « L’objectif est de favoriser chaque année une quinzaine d’initiatives qui visent la sécurité alimentaire par les algues, en veillant à un développement local acceptable. »
De nombreux projets concernent aussi la restauration de forêts d’algues pour stocker du carbone et favoriser le retour des poissons qui y trouvent refuge et nourriture. L’enjeu, comme en Colombie Britannique (Canada) est également de faire revenir les loutres de mer et orques qui font le bonheur des touristes. L’un des projets des plus ambitieux se situe en Namibie. Kelp Blue, doté d’un budget de 60 millions d’euros et développé par une entreprise néerlandaise, veut reconstituer une ferme d’algues appelées varechs géants. Le projet doit capter en carbone l’équivalent de la pollution automobile des Pays- Bas et de la Grande-Bretagne. L’idée est aussi de produire des composants alimentaires et agricoles à base d’algues. Et de ramener de la biodiversité sur cette côte autrefois la plus poissonneuse du monde, où les méduses ont remplacé les poissons surpêchés.
D’autres projets enfin visent à utiliser les algues, organismes vivants donc totalement biodégradables, pour remplacer des produits polluants tels que le plastique. C’est le cas déjà des bouteilles de la société Algopack. Ou du projet Alga développé par le jeune designer Samuel Tomatis. « Le but est d’élever un déchet local - les algues vertes qui prolifèrent sur les plages bretonnes -, au rang de production positive et locale », résume le designer. Il développe aujourd’hui du mobilier, mais aussi un matériau de construction, des contenants alimentaires et un textile biodégradables à base de 100 % d’algues. Des matières pensées pour une production semi- industrielle.
Alors, verra-t-on demain des fermes d’algues sur tous les littoraux ? La Tunisie, l’Afrique du Sud, mais aussi l’Europe veulent combler leur retard sur l’Asie. « Il est sûr que cela peut créer, comme en France, des conflits avec les riverains, répond Philippe Potin, mais la Commission européenne en a fait une priorité des deux prochaines années. » En attendant, pour en apprendre plus sur les algues et sur toutes les solutions apportées par la mer, rendez-vous à La Fête de l’océan à l’Aquarium tropical.