Emmanuel Bellanger, historien
Membre du conseil scientifique de l'exposition Banlieues chéries, Emmanuel Bellanger est spécialiste de l'histoire politique, sociale et urbaine des banlieues parisiennes. On lui a posé quelques questions sur le sujet !
Comment sont nées les banlieues et quelles sont les grandes étapes de leur histoire ?
Emmanuel Bellanger : Les banlieues sont nées de révolutions successives. Elles ont été « enfantées » par des « villes-mères » à l’image du Grand Paris. Depuis le XIXe siècle, la banlieue parisienne occupe une place singulière de par son étendue et sa croissance démographique unique en Europe. Seul le Grand Londres suit sa trajectoire. Ces banlieues vont prendre des formes multiples. Elles sont dès leur apparition des lieux de villégiature transformés en banlieue résidentielle, des terres agricoles évoluant en zones maraîchères et des territoires transformés par l’industrie.

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© Palais de la Porte Dorée, 2025
Une des caractéristiques des banlieues tient à l’histoire de leur peuplement. Les banlieusards sont dans leur très grande majorité des « déracinés » qui ont vécu l’exode rural. De leur passé, ils ont conservé l’aspiration à devenir propriétaires d’une maison et d’un jardin, donnant forme à la banlieue pavillonnaire. L’entre-deux-guerres voit l’intensification de l’étalement pavillonnaire mais la période est aussi marquée par la formation de la « banlieue rouge » qui va ceinturer Paris. Dirigées par des élus communistes issus du monde ouvrier, ces villes constituent un laboratoire des politiques sociales où les « déracinés » sont intégrés et retrouvent des formes de solidarités et de fierté.
Puis les « Trente glorieuses » vont transformer ces espaces avec la construction des grands ensembles, avant que la désindustrialisation et le chômage de masse ne les touchent de plein fouet.
Les relations entre les villes centres et leurs banlieues populaires ont-elles toujours été tendues ?
E.B. : Les banlieues ont très tôt suscité des imaginaires anxiogènes, surtout dans les beaux quartiers et auprès des élites. La peur des banlieues est née avec leur création. Elle fait écho au rejet des « indésirables » venus des mondes paysans de France et de l’étranger. Ces banlieues ont pourtant joué un rôle fondamental : elles ont été des sas d’entrée dans la ville et d’intégration à la vie sociale. Il n’est pas surprenant que de nombreux banlieusards aient développé un fort sentiment d’appartenance à leur territoire d’accueil, un « patriotisme de clocher » face au Paris haussmannien accusé d’avoir colonisé la banlieue.
Vous avez écrit que « l’avenir des métropoles se jouait dans leurs banlieues ».
E.B. : Oui, je le redis ici en m’appuyant sur les leçons que l’on peut tirer de l’histoire des banlieues. Sans elles, Paris, comme Lyon et d’autres capitales, n’existerait pas ! Au cours des XIXe et XXe siècles, les révolutions économiques, sociales, urbaines se sont faites en banlieue. Il faut sortir du « petit Paris » et souligner que sans la Seine-Saint-Denis les JO de Paris 2024 n’auraient pas pu être organisés ! Une métropole, c’est une histoire de polycentralités qui nous rappelle que les périphéries peuvent aussi devenir le centre.
L'exposition Banlieues chéries est ouverte du 11 avril 2025 au 17 août 2025 au Musée de l'histoire de l'immigration