L'Archipel de Kiribati : la menace de l'exil climatique
Trois questions à Guigone Camus, docteure en anthropologie sociale, membre du comité d'experts de la Plateforme Océan et Climat et spécialiste de l'Archipel de Kiribati à propos des conséquences du réchauffement climatique pour les insulaires.
Vous étudiez la façon dont le changement climatique affecte les habitants de Kiribati. Ces atolls du Pacifique central sont très vulnérables à la montée des eaux. Quels sont les impacts déjà perceptibles ?
Ils sont très concrets. Les 120 000 habitants de ces petites îles basses, situées quasiment au niveau de la mer, perdent des terres habitables du fait de l'érosion des côtes. La montée des eaux et les tempêtes conduisent à l'inondation des jardins côtiers et à la salinisation des sols. Ce qui rend les terres plus difficilement cultivables et fragilise les ressources alimentaires. Cela pourrait aussi, à plus ou moins court terme, générer des conflits fonciers comme c'est déjà le cas à Tarawa, capitale de l’archipel.
Le réchauffement climatique menace également la ressource en eau potable, denrée rare. Elle est disponible uniquement grâce à une poche d’eau souterraine saumâtre et à la collecte des eaux de pluie. Durant les périodes de sécheresse de plus en plus marquées, le renouvellement de cette eau souterraine n’est pas suffisant, ce qui engendre une insalubrité de l’eau, cause de nombreuses maladies.
La solution ultime serait donc l'exil définitif...
L'exil dans un autre pays soulève bien des questionnements à l’international comme à Kiribati. Le gouvernement a acheté en 2014 des terres cultivables à Fidji, pour y instaurer une sorte de grenier lorsque les sols seront trop salins. Mais à plus long terme le déracinement, l’abandon des terres des ancêtres, restent assez inconcevables aujourd’hui pour les insulaires.
Des installations destinées à empêcher l'assaut des vagues ont été mises en place. Ces solutions sont-elles efficaces ?
À court terme, les murs de protection en pierre sont utiles mais à long terme, ils déplacent les problèmes plus qu’ils ne protègent les insulaires. Les solutions d’adaptation face au changement climatique doivent tenir compte des spécificités culturelles, politiques et sociales de la société concernée. Nombre de projets de l’aide internationale sont pertinents mais échouent, souvent parce qu’ils contreviennent à des droits coutumiers d’accès aux terres ou aux ressources naturelles.
Les insulaires des Kiribati sont de nature très discrète et pudique. Ils refusent bien souvent de parler ouvertement de leurs inquiétudes et de leurs sentiments face à la menace du changement climatique. Ce qui rend la société difficilement lisible pour des observateurs étrangers comme les intervenants du développement. Les dialogues interculturels, s’ils s’appuient sur les sciences sociales comme l’anthropologie, peuvent aider à comprendre les sociétés et donc leurs besoins et leur seuil d’acceptabilité des transformations nécessaires.
Entretien réalisé pour le Journal du Palais, mars 2023