31920-1944 : Le temps des nationalismes
Pendant l’entre-deux-guerres, les Jeux Olympiques participent à l’engouement pour les sports-spectacles portés par les médias. Ils attirent davantage de délégations et un public toujours plus nombreux, et s’affirment progressivement comme un événement mondial dont la portée géopolitique se renforce.
Le bilan tragique de la Grande Guerre encourage le CIO à poursuivre son œuvre pacifiste. En 1920, à Anvers, l’introduction du drapeau et du serment olympiques symbolise la concorde des nations. Néanmoins, tous les vaincus de la Première Guerre mondiale en sont exclus. Les éditions suivantes, à Paris (1924) où l’Allemagne sera également absente, puis à Amsterdam (1928), sont le théâtre d’exploits sportifs réalisés par des athlètes de tous horizons, notamment issus des « minorités » ou des empires coloniaux. L’avènement des premières stars médiatiques ébranle le principe de l’amateurisme, toujours fermement défendu par le CIO.
En 1932, en pleine crise économique, les Jeux de Los Angeles sont marqués par les victoires des athlètes italiens érigés en ambassadeurs du régime fasciste. Quatre ans plus tard, la politisation de l’événement franchit un cap lors des Jeux de Berlin, au service de la propagande nazie. Malgré l’exclusion des athlètes juifs allemands au mépris des valeurs fondamentales de l’olympisme, l’organisation et la modernité affichée des Jeux de Berlin apparaissent comme autant de succès pour Adolf Hitler. La Seconde Guerre mondiale empêche la tenue des éditions de 1940 et 1944.
Les Jeux de la paix
Huit ans après les Jeux de Stockholm, la flamme Olympique est ravivée à Anvers, en Belgique, pays martyr de la Première Guerre mondiale. Ces « Jeux de la paix » introduisent de nombreux symboles qui imprègneront durablement le mouvement olympique, tel le lâcher de colombes. Le sportif belge Victor Boin (en savoir plus) prononce le premier serment olympique, véritable code d’honneur du sportif, au nom de tous les participants réunis. Patriote, nageur et escrimeur, il a combattu pendant la guerre et incarne, par sa polyvalence, la figure de l’athlète amateur. Le drapeau olympique, conçu par Pierre de Coubertin, est hissé pour la première fois avec, sur un fond blanc, cinq anneaux entrelacés représentant tous les continents unis par l’olympisme, tandis que les couleurs sont celles des drapeaux du monde.
Paavo Nurmi, le « Finlandais volant »
C’est à Anvers que commence la carrière unique de Paavo Nurmi. Le coureur de fond finlandais termine deuxième du 5 000 mètres, puis remporte le 10 000 mètres, ainsi que les cross individuels et par équipe. Grâce à des méthodes d’entraînement rigoureuses et intensives, il réitère ses exploits quatre ans plus tard à Paris, où il décroche cinq titres. Après les Jeux de 1928, le palmarès de Paavo Nurmi s’élève à douze médailles, ce qui le place encore aujourd’hui sur le podium des athlètes les plus récompensés.Suzanne Lenglen, première star internationale
En 1920, Suzanne Lenglen, jeune Française de 21 ans, a déjà gagné deux fois le tournoi de Wimbledon. À Anvers, elle décroche trois médailles dont deux en or. Sa grande popularité, sa détermination, mais également l’attention portée à son style la transforment en une icône des Années folles, inspirant écrivains et artistes. Habillée par le couturier Jean Patou, elle bouscule les codes vestimentaires de l’époque par le port de jupes plissées, plus courtes que les tenues de ses concurrentes.Alice Milliat et les premiers Jeux féminins (1922)
Pionnière du féminisme, Alice Milliat est une sportive accomplie. Elle est à l’origine du premier championnat de France et de la première équipe de France de football féminin en 1920. Elle se bat pour que les femmes puissent participer aux Jeux Olympiques dans toutes les disciplines. Devant le refus du CIO, elle décide d’abord d’organiser des « Olympiades féminines » à Monaco entre 1921 et 1923, puis les « Jeux Olympiques féminins » à Paris en août 1922, rassemblant cinq pays dans onze disciplines.
Site internet de la Casden : Histoire, sport & citoyennetés : des jeux olympiques d’Athènes 1896 aux jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 :
https://casdenhistoiresport.fr/exposition/olympiades/periode-1917-1944#1920
Paris, capitale mondiale de l’olympisme
En 1924, Paris devient la première ville au monde à accueillir les Jeux pour la deuxième fois. Le comité d’organisation veut prouver que le pays est capable d’une telle organisation après les destructions de la Première Guerre mondiale. Il fait appel au patriotisme au travers d’une souscription nationale, pour compléter les subventions de l’État et de la ville. Le Racing Club de France met à sa disposition le stade de Colombes. La réussite populaire contribue à ramener la France à son rang de grande puissance. Avec la participation de 43 délégations dont 18 extra-européennes, les Jeux de Paris embrassent un peu plus la diversité du monde. Afin de renforcer leurs chances de médailles, les grandes puissances impériales commencent à aligner des athlètes issus de leurs colonies ou des minorités ethniques.
Faire événement
Les Jeux Olympiques de 1924 connaissent un réel succès : plus de 600 000 spectateurs se pressent dans les tribunes. Les bénéfices économiques sont importants. Les ventes de produits dérivés, tels des vases, éventails, briquets, cendriers ou encore timbres et cartes postales, se développent, tout comme les marchands ambulants. S’y ajoute une large couverture médiatique avec la présence de plus de 1 000 journalistes. Pour la première fois, l’événement est diffusé en direct à la radio.
Johnny Weissmuller, une star sans papiers
Né à Freidorf dans l’actuelle Roumanie, et émigré aux États-Unis, Johnny Weissmuller ne dispose pas de papiers en règle : il emprunte ceux de son frère pour se rendre à Paris. Il remporte quatre médailles dont trois en or, notamment sur le 100 mètres nage libre. Ses succès lui permettent d’obtenir la nationalité américaine et d’entamer une carrière à Hollywood où il incarne Tarzan dans douze films. Celui qui n’a jamais perdu une seule course en compétition devient alors une star mondiale du grand écran.
La naissance du mouvement international sportif des sourds
Les premiers Jeux Internationaux Silencieux sont organisés du 10 au 17 août 1924 au stade Pershing à Paris. Ils réunissent près de 150 sportifs sourds représentant neuf pays. Cette compétition témoigne de la vitalité du mouvement sourd qui se structure au début du XXe siècle, cherchant à combattre les représentations sociales stigmatisantes de l’époque. Officiellement reconnus par le CIO en 1955, ces Jeux sont aujourd’hui appelés Deaflympics, et sont organisés tous les quatre ans.
Paris, capitale des diversités du monde
Durant l’entre-deux-guerres, Paris est la capitale des diversités. Aux Européens s’ajoutent des travailleurs coloniaux, ainsi que des Américains du Sud et du Nord. Des artistes venus du monde entier se retrouvent à Montparnasse. L’intérêt pour les « cultures noires » est à son apogée : le Martiniquais René Maran obtient le prix Goncourt pour son roman Batouala (1921), le « bal nègre » ouvre ses portes (1924), et Joséphine Baker triomphe dans la Revue nègre (1925).
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Des Jeux neutres ?
Organisés dans un pays resté neutre pendant la Première Guerre mondiale, au cours d’une période de relative accalmie sur le plan international, les Jeux Olympiques d’Amsterdam agissent comme un révélateur des dynamiques à l’œuvre au sein de la sphère sportive internationale. Ainsi, en dépit des réticences de Pierre de Coubertin, la féminisation des Jeux franchit une nouvelle étape. Les femmes, désormais admises dans les épreuves d’athlétisme et de gymnastique, représentent près de 10 % des participants. Le développement des compétitions professionnelles qui attirent les athlètes les plus performants tout en leur interdisant de participer aux Jeux Olympiques encore réservés aux amateurs, contraint le CIO à supprimer certaines disciplines de son programme : c’est le cas du tennis en 1928.
La contestation de Jeux bourgeois et mondains
Les membres du CIO appartiennent aux élites européennes. Certains sports, comme la voile, sont l’apanage de cette catégorie de privilégiés à laquelle appartient Virginie Herriot, championne olympique. Dénonçant les « sports bourgeois », l’Internationale communiste organise à Moscou, parallèlement aux Jeux d’Amsterdam, des Spartakiades, en référence à Spartacus, l’esclave romain rebelle. Quatre mille sportifs soviétiques et 600 étrangers de douze pays participent à un programme qui ressemble aux Jeux « officiels ».
Ahmed Boughéra El Ouafi, symbole des immigrations en France
Engagé dans l’armée française, puis ouvrier des usines Renault de Boulogne-Billancourt, Ahmed Boughéra El Ouafi, champion de France de marathon, brille à Amsterdam. Le natif d’Ouled Djellal dans le Sud algérien remporte l’épreuve et la première médaille d’or pour un Maghrébin. Malgré sa victoire, le manque d’argent le conduit à signer un contrat professionnel pour participer à des spectacles sportifs aux États-Unis. Il est par conséquent exclu des compétitions amateurs et olympiques, et il termine sa vie dans l’anonymat et la misère.
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Les Jeux de la crise économique
Confiée à Los Angeles dès 1923, l’organisation des Jeux Olympiques de 1932 divise. En effet, au lendemain du krach boursier de 1929, l’opinion américaine et le président Herbert Hoover considèrent l’accueil de cet événement comme une dépense injustifiée. À ces réticences s’ajoutent les doutes des sportifs européens sur la nécessité d’organiser un tel événement à l’autre bout du monde. Finalement, les Jeux sont financés à l’aide de capitaux privés, et le coût du séjour est réduit pour les participants grâce à la construction d’un village olympique – réservé aux hommes. Pour la première fois aussi, le cérémonial de remise des médailles sur un podium, avec levée de drapeau et hymne, apparaît à l’occasion de cette édition. Dans une ville en plein essor, la magie opère : la présence dans le stade de stars hollywoodiennes – tels Gary Cooper ou Buster Keaton – apporte faste et glamour à l’événement.
Fascisme et impérialisme
En se classant au deuxième rang des nations derrière les États-Unis, les athlètes italiens contribuent à la propagande du fascisme. Ils incarnent l’« homme nouveau » que le régime totalitaire entend façonner, notamment par le sport. La montée des nationalismes et des impérialismes en Europe et ailleurs trouve aussi un écho dans la performance des sportifs japonais, comme celle du cavalier Nishi Takeichi, officier d’une armée qui vient d’envahir la Mandchourie (1931).
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Les Jeux de l’Allemagne hitlérienne
Organisés trois ans après l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler, les Jeux Olympiques de Berlin servent opportunément la propagande du régime nazi. Les dirigeants allemands entretiennent l’illusion d’un « pays normal », cherchant à effacer toute trace d’antisémitisme. Pourtant, et en dépit des consignes édictées par le CIO, tous les athlètes juifs allemands sont exclus de la compétition. Moyennant des dépenses colossales, Berlin organise la plus grande rencontre sportive jamais tenue. Le nouveau stade olympique, monumental, accueille des cérémonies grandioses dans un décorum qui multiplie les références à l’Antiquité, prise comme une des bases de l’idéologie raciale nazie. Malgré la bonne performance des athlètes allemands, tous les regards se portent sur un athlète noir, le sprinteur africain-américain Jesse Owens.
Jesse Owens, courir contre le racisme
Jesse Owens remporte quatre titres : 100 mètres, saut en longueur, 200 mètres et relais 4x100 mètres. Cet exploit, réalisé sous les yeux d’Adolf Hitler, discrédite les théories racistes du IIIe Reich et la prétendue supériorité physique des « aryens » blancs. Le triomphe d’Owens, petit-fils d’esclave, contribue à la fierté des Africains-Américains encore privés de droits civiques dans le système ségrégationniste étatsunien. Contrairement à la tradition, il n’est pas invité à la Maison-Blanche à son retour de Berlin.
Les Olympiades populaires de Barcelone
L’arrivée des nazis au pouvoir en Allemagne en 1933 provoque un vaste mouvement international de boycott des Jeux Olympiques prévus en 1936 à Berlin. Le mouvement sportif ouvrier international se mobilise pour l’organisation de Jeux alternatifs à Barcelone. Plus de 6 000 athlètes s’inscrivent à ces Olympiades populaires. Les compétitions sont cependant annulées en raison du déclenchement de la guerre civile opposant en Espagne les républicains et les troupes putschistes du général Franco.
Olympia
Les Jeux de 1936 introduisent le premier relais de la flamme portée d’Olympie jusqu’à Berlin. La course du dernier relayeur est capturée par les caméras de la cinéaste Leni Riefenstahl, qui réalise alors Olympia, un long métrage à la gloire des Jeux du IIIe Reich. À la faveur d’une réalisation et d’un montage innovants, ce film propose une esthétique qui inspirera durablement les diffuseurs d’événements sportifs et qui marquera le cinéma. Sans occulter le triomphe de Jesse Owens, Olympia glorifie le modèle antique du corps, symbole de la « perfection aryenne ».
Les Jeux annulés de 1940 et 1944
La Seconde Guerre mondiale provoque l’annulation de deux éditions consécutives des Jeux Olympiques. Tokyo, qui aurait dû accueillir la XIIe Olympiade en 1940, renonce finalement à l’organiser car le Japon, engagé dans une politique impérialiste, entre en guerre contre la Chine en 1937. Les Jeux sont alors programmés à Helsinki, qui doit y renoncer à son tour en 1939 en raison de la guerre et de l’invasion soviétique. Le conflit mondial empêche aussi la tenue des Jeux Olympiques prévus à Londres en 1944.
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