Racisme et culture, une conversation avec Michel Agier

Si la race n’existe pas, le racisme est manifestement partout et de plus en plus global. S’agit-il d’un dernier cri qu’éructent quelques figures à la dérive face aux bouleversements du monde ? Ou s’agit-il du pire outil de manipulation et domination qui soit, celui de la déshumanisation des autres ? Longtemps, on a pensé que faire silence sur la race permettait de la combattre. Mais peut-on lutter contre le racisme tout en refusant de faire un véritable objet d’enquêtes, directes, de la race qu’il produit ? En parler est nécessaire pour en comprendre, sans faux-semblant ni euphémisation, les fondements, les contextes et les effets.

L’anthropologue Michel Agier, qui a multiplié depuis quarante ans, les terrains, de l’Afrique à l’Amérique latine jusqu’à la France, a pris au corps ce que les consciences d’une condition racisée produisent ici et là, circulant dans de nombreuses situations sociales. Revenant dans le même temps sur son parcours d’ethnographe, il a entrepris de relire les grandes théorisations qui de Lévi-Strauss à Colette Guillaumin, de Frantz Fanon à Stuart Hall, ont compté pour délivrer la pensée de ce maléfice.

Son ouvrage décrit donc aussi bien les violences du racisme que les manières dont s’en saisissent ceux et celles qui en sont les sujets. Il montre notamment que performer d’autres images de soi, c’est faire quelque chose de la contrainte du racisme, ne pas la laisser agir en paix, et le faire face aux autres, toutes couleurs confondues. On y découvre toutes les parades de gestes, mouvements, sons et paroles, - de la culture en somme – qui créent une autre image de soi et du monde. Ces explorations sont autant d’interpellations qui forcent l’attention, questionnent le regard des spectateurs comme l’imagination des concepteurs.

Michel Agier est anthropologue, directeur de recherches à l’IRD et à l’EHESS, membre du Centre d'études des mouvements sociaux (CEMS). Il a notamment publié Gérer les indésirables (Flammarion, 2008) et L'étranger qui vient. Repenser l'hospitalité (Seuil 2018, Points 2022). Avec Stefan Le Courant, il a codirigé le volume Babels. Enquête sur la condition migrante (Points, 2022).